La Lettre du Financier Territorial

Editorial

En finir avec l'empilement des ressources de compensation ?

Publié dans le N°392 -Novembre 2023
|

Dans son Fascicule 2 sur Les finances publiques locales 2023, publié ce 24 octobre, la Cour des comptes confirme le jugement critique qu'elle a porté dans ses rapports précédents sur le système financier local (à bout de souffle, unanimement critiqué). Ebauchant une doctrine de l'autonomie financière, elle dénonce l'incohérence structurelle du système actuel tenant au déséquilibre entre une assez large liberté des autorités locales pour choisir les dépenses et l'affaiblissement constant de leur pouvoir sur les ressources, particulièrement dans les départements et régions. Le lecteur de la Lettre connait bien les multiples causes de cet état, mais il vaut la peine de revenir sur la source principale de cette distorsion.

Elle tient au fait que l'essentiel des ressources locales est un assemblage hétéroclite de compensations définies dans l'urgence et au coup par coup lors de suppressions d'impôts locaux ou de transferts de compétences décidés par l'Etat. Chaque compensation a ses imperfections mais, par leur nombre, la diversité de leurs régimes et leur poids, elles ont généré une malfaçon systémique.

Toute suppression d'impôt local aurait dû être remplacée par un autre impôt local, ce qui ne fut jamais le cas, alors même qu'une dotation ou le versement d'une fraction d'impôt national change radicalement la nature de la recette et sa gestion.

Pour les nouvelles compétences s'imposa le principe qu'une juste compensation se mesurait aux dépenses que l'Etat consacrait à la mission avant son transfert. Depuis 2003, l'article 72-2 de la constitution dispose qu'un transfert de compétences « s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice.» En l'absence de ressources affectées, on considère qu'elles correspondent aux dépenses effectuées, l'équivalence ne portant que sur le volume et non sur une nature des ressources. Bien que les procédures établies à cet effet aient correctement fonctionné, cette méthode comporte quatre défauts.

- Les compensations, approximatives de naissance, sont problématiques dans la durée. Au Colloque tenu au Sénat, ce 26 octobre, plusieurs orateurs ont demandé qu'elles assurent l'exacte couverture des coûts et évoluent avec eux. Or, les dépenses effectuées par l'Etat avant le transfert n'expriment pas des coûts, mais ses choix politiques ainsi que la capacité des services à consommer les crédits ouverts, facteurs forcément différents dans les collectivités. En outre, les frais liés à une mission ne peuvent jamais être recensés de manière exhaustive au vu des comptes de l'Etat. On reste condamné à l'à peu près. L'indexation est impossible à imaginer pour une imposition (sauf pour les fractions de TVA indexées de fait sur l'inflation) et soulève d'énormes difficultés méthodologiques pour choisir un index de référence lorsque c'est une dotation, d'autant que les charges varient beaucoup selon les collectivités. Une solution technique, difficile à élaborer, serait l'attribution de dotations sur des critères physico-financiers de charges. Plus conforme à l'autonomie locale serait l'établissement d'une fiscalité locale productive qui permet d'ajuster les moyens en fonction des situations et des choix des pouvoirs locaux.

- Les compensations contribuent à émietter et à rigidifier les politiques locales. Certes, ni les impôts, ni les dotations ne sont affectés, ce qui autorise leur fongibilité. Toutefois, les gestionnaires sont tentés de ne pas trop éloigner une dépense de l'enveloppe dédiée, au risque de concevoir des politiques en silos juxtaposés.

- La multiplicité de ressources ayant des régimes disparates (dépenses budgétaires, prélèvements sur recettes, partages d'impôts nationaux) crée de la confusion dans la loi de finances et accroît les coûts de gestion. Au niveau local, cela obscurcit leur compréhension et fragilise les prévisions pour élaborer des stratégies financières.

- Enfin, ces charges pour l'Etat, non suivies d'une baisse de ses dépenses, pèsent durablement sur ses besoins de financement et la dette.

Alors, réviser la constitution, comme le proposent des sénateurs ? Pour y inscrire quoi ? Si le législateur ne sait ni rationaliser les dotations, ni concevoir un bon impôt local, le salut ne viendra sûrement pas du juge constitutionnel.


Newsletter de la Lettre du Financier Territorial

Inscrivez-vous et soyez informé de nos nouvelles parutions et de l'actualité de notre site