La Lettre du Financier Territorial

Editorial

L'arbitrage sur les dépenses : plus nécessaire, plus douloureux

Publié dans le N°398 -Mai 2024
|

L'impératif de freiner les dépenses publiques ne fait guère de doute quand les prélèvements obligatoires et l'emprunt sont à des niveaux records. En même temps la pression sur les dépenses reste vigoureuse, pour la défense et la sécurité, la justice, la santé, les solidarités. Lorsque l'on ne peut plus agir sur les recettes, l'arbitrage ne peut se faire qu'entre les dépenses. Y poussent particulièrement les contraintes liées au changement climatique qui impactent les collectivités locales loin des schémas traditionnels centrés sur le pouvoir discrétionnaire de décider des programmes.

Le Rapport de mission sur l'assurabilité des risques climatiques, remis le 2 avril aux ministres Bruno le Maire et Christophe Béchu, offre une bonne illustration. L'étude porte sur le maintien d'une assurance accessible à tous et sur le renforcement de la prévention des risques naturels. Les experts se sont fondés sur des scénarios relatifs à la fréquence et à la gravité des calamités naturelles, prévues en forte progression. Il en résultera d'importants coûts d'intervention pour les services publics locaux et de lourds travaux de remise en état des équipements. L'indemnisation d'un sinistre dû à une catastrophe naturelle ou technologique suppose que la victime soit assurée pour ces risques et à condition qu'un arrêté interministériel reconnaisse l'état de catastrophe naturelle ou technologique. Des déboursements considérables attendent donc les organismes d'assurance, qui devront ajuster leurs tarifs en conséquence.

Or, beaucoup de collectivités ont d'ores et déjà des difficultés à obtenir des propositions de contrats d'assurance, dont les prix sont toujours à la hausse. L'option est entre être son propre assureur, ce pour quoi il conviendrait de réserver d'importantes provisions, ou payer des primes d'un coût élevé. Dans un cas comme dans l'autre, la dépense sera obligatoire, en fait, quoique inégalement prévisible. Et comme il n'y aura pas de ressources dédiées, il importe de regarder où faire des économies.

L'eau est un autre sujet de préoccupation. La croissance des charges y est inévitable. Garantir l'accès de tous à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement et assurer la gestion durable des ressources est un des objectifs du développement durable (ODD). Les phénomènes de rareté, qui se multiplient, exigent de rechercher de nouvelles sources et d'allonger les réseaux. Les eaux usées doivent être évacuées dans des conditions moins polluantes. Des réseaux vieillissants, aux pertes importantes, nécessitent d'être remplacés. De nouvelles constructions devront être desservies. De nombreuses études attestent que de gros investissements sont en attente, par exemple le rapport de la Mission d'information sur l'adaptation de la politique de l'eau au défi climatique (A.N. 17 janvier 2024) ou celle réalisée par les élèves administrateurs et ingénieurs de l'INET[1].

L'essentiel de ces dépenses sera porté par des services publics industriels et commerciaux financés par les redevances payées par les usagers. L'emprunt contracté pour les investissements étant réalisé par des organismes marchands n'entre pas dans la dette publique telle que définie par le traité de Maastricht. Néanmoins, il devra trouver à se financer au meilleur compte afin qu'une charge excessive ne soit pas répercutée sur les usagers.

Ce grand virage, qui touche tous les domaines des politiques locales, devra s'accompagner d'importants investissements intellectuels pour forger des outils et organiser des formations. Seraient d'un grand secours des fiches méthodologiques sur les coûts/avantages des principales actions relatives au développement durable, qui faciliteraient les arbitrages et programmations. Un champ pour l'IA ? Il serait judicieux de perfectionner les instruments financiers spécialement adaptés à ces problématiques ; d'optimiser l'usage des provisions et le placement des fonds pour la gestion du temps long ; d'affiner les procédures de planification écologique dans une collectivité aussi bien que dans les coopérations inter-administratives afin d'y éviter les coûteux retards en cascades.


NOTES :

[1] Comment mieux orienter les financements vers des usages vertueux de la ressource et la modernisation des réseaux ? https://inet.cnfpt.fr/sites/default/files/2024-03/ETUDE_INET_EAU_AFL_2024_DIGITAL.pdf

Newsletter de la Lettre du Financier Territorial

Inscrivez-vous et soyez informé de nos nouvelles parutions et de l'actualité de notre site