La Lettre du Financier Territorial

Editorial

La fabrique des lois financières... par le Parlement

Publié dans le N°415 - Décembre 2025
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Les débats sur les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale ont pris une tournure totalement inédite. En effet, le Gouvernement de Sébastien Lecornu a adopté une stratégie pour le moins étonnante. Il s'est d'abord privé d'une des armes de procédure préférée des gouvernements, l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Sans majorité, il y avait un risque élevé que le Gouvernement soit renversé en raison de l'engagement de sa responsabilité sur le projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale pour 2026. Il s'agissait aussi d'un gage politique donné à une partie de l'opposition, en plus de concessions au fond, avec notamment la suspension temporaire de la réforme des retraites.

Le second motif d'étonnement tient dans la stratégie adoptée sur le fond qui a consisté à laisser le Parlement s'emparer du projet de loi de finances pour le modifier à sa guise. Lors des débats, la ministre des Comptes publics a répété à l'envi aux députés qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Ces derniers ne s'en sont pas privés. L'examen de la première partie de la loi de finances, c'est-à-dire la partie recettes, a permis aux députés de faire oeuvre d'une imagination débordante pour créer de nouveaux impôts ou modifier des impôts existants sous le regard presque impuissant du Gouvernement. Des députés ont inventé des impôts sans la moindre évaluation technique, économique ou juridique. Est ainsi remise en cause la règle des quatre temps alternés qui gouverne le temps et la pratique budgétaire depuis 1958 : Le Gouvernement prépare la loi de finances, le Parlement l'examine et la vote, le Gouvernement l'exécute et le Parlement la contrôle. Finalement de très nombreuses heures de débats ont eu lieu et se sont achevées par le rejet de la première partie par quatre cent quatre voix contre une.

Notre système budgétaire et financier est bien en passe de se dérégler. Dans toute assemblée délibérante, voter contre le budget signifie appartenir à l'opposition. Nous sommes désormais dans une situation totalement inédite où il n'y a plus que des opposants et un gouvernement que l'on devine désemparé. Ce dernier avait repris en grande partie la copie Bayrou, mais qui a été complètement revue par les députés. Le texte a été rendu « invotable » par l'ensemble des députés, sachant que la seconde partie dépenses aurait sans doute connu un sort identique. Ainsi, le Parlement pourrait dans les années à venir réclamer de pouvoir reprendre la copie gouvernementale, comme cette année, ce qui pose le problème de l'équilibre des institutions.

Que faire maintenant ? Il est désormais hautement improbable que la loi de finances et peut-être la loi de financement de la sécurité sociale soient adoptées. On n'ose dire votées ! La loi spéciale de finances fait son retour avec une menace diffuse d'ordonnances dont on ne sait pas très bien quelles formes elles pourraient prendre. Il semble, cependant, difficile de prendre des ordonnances à partir du moment où le Parlement s'est prononcé et a rejeté les lois financières. Il est urgent, sans doute, de revoir les dispositions des lois organiques afin de préciser le contenu des lois spéciales, mais aussi des ordonnances budgétaires. En attendant, la France risque bien de se trouver dans une situation difficile sans un compromis minimal. Ne pourrait-on reconvoquer l'article 49.3 pour faire aboutir un compromis au forceps ?

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