Plus ou mieux ?
Dans un monde compliqué, il faut parfois des idées simples. Ramenées à l'essentiel, les campagnes électorales s'appuient sur quelques thèmes constants : autre/changer (gouvernement, politiques), plus (policiers, soignants, allocations, salaires), moins (impôts, normes). C'est facile à annoncer et s'entend bien. L'attente profonde des citoyens est cependant le mieux : de meilleurs dirigeants, de meilleures politiques. Et là surgissent les complications car il est extrêmement difficile de définir, mesurer et apprécier ce qui est amélioration.
La personnalité des candidats joue très inégalement : de façon significative aux élections municipales et cantonales, beaucoup moins aux régionales et législatives. Des études scientifiques démontrent que leur apparence influe sur les choix; cela va du timbre de la voix, au visage et aux vêtements, devenus même la marque distinctive de certains partis. Par contre, formation, compétences, expérience politique pèsent peu, dès lors que le/la candidat(e) est rompu(e) à la dialectique et porte une étiquette politique qui plait.
Lors des élections législatives de 2017 avait été expérimentée l'étrange doctrine que les parlementaires devaient être principalement issus de la société civile, c'est-à-dire sans connaissance particulière des affaires publiques et sans pratique politique. La démonstration a été peu convaincante car l'Assemblée nationale n'est pas une école de gestion publique et la vocation pour le difficile métier de député ne tient pas aux seules ambitions d'un jour.
La nouvelle Assemblée nationale comprendra de nombreux novices. Leur compréhension des réalités sur lesquelles ils devront agir va déterminer leur distanciation plus ou moins rapide avec le logiciel de campagne qui a façonné leur cadre de pensée. Se vérifiera que les gouvernants nationaux peuvent rarement faire ce qu'ils ont promis ou, plus précisément, ce que les électeurs ont retenu de leurs promesses.
On se heurte ici au paradoxe exposé par Rousseau selon lequel, si le souverain veut toujours le bien - et est donc réputé le faire - il ne le connaît souvent pas. En effet, rien n'est plus difficile que de définir le mieux dans les problèmes de la vie collective. Fréquemment, il n'existe pas de bonne solution, entendue comme celle qui n'a que des avantages, et pour tous. Effets induits, pervers aussi bien que bénéfiques, se développent sur des plans multiples et concernent des catégories différentes ce qui rend les comparaisons hasardeuses. Et les inconvénients se ressentent davantage et plus vite, générant insatisfactions et critiques. Ces difficultés se rencontrent également dans l'évaluation des politiques publiques et expliquent pourquoi il s'en fait peu.
Démontrer que telles ou telles dépenses supplémentaires produiront des gains supérieurs aux impacts négatifs d'une hausse des impôts ou de la dette nécessaire pour les financer nécessite un appareil méthodologique et s'accompagne de réserves d'interprétation peu propices aux débats publics et interviews télévisés. Accompagner un engagement de modération fiscale par une liste précise d'économies heurtera aussitôt ceux qui subiront ces économies. La prudence conseille donc de ne jamais parler des deux faces d'une réalité, ce que confirme le marketing politique qui segmente les publics en étant attentif aux effets sur chaque groupe car, à la marge, chacun compte quand les résultats se jouent sur de faibles écarts.
La difficile et imparfaite définition du bien public est la justification profonde du système démocratique. Il faut une procédure pour choisir les gouvernants et l'élection à la majorité est une des moins contestables. Mais le vainqueur ne représente qu'exceptionnellement la majorité absolue des électeurs et jamais celle de la population concernée. Le phénomène est même devenu caricatural avec l'abstentionnisme massif. Le dirigeant élu ne peut donc pas prétendre disposer d'un pouvoir absolu ; celui-ci devrait rester relatif comme son assise populaire. C'est à cette fin qu'ont été établis les valeurs et principes fondamentaux de la démocratie : considération pour les oppositions, concertation et dialogue, respect du droit, recherche de solidarité sociale, acceptation du compromis et pratique de coopérations.