Que sont les mythes du nouveau gestionnaire public devenus?
Mythe : ensemble de croyances ou de représentations idéalisées autour, par exemple, d'une technique, qui donnent à celle-ci une force et une importance particulières. Des êtres ou des événements banals peuvent ainsi acquérir un statut spécifique qui, par idéalisation, en fait un objet de culte mais aussi un moteur de l'action collective car chacun en voit la noblesse et l'attrait.
C'est ce qui fut entrepris au tournant du siècle, dans le sillage de la LOLF et de la doctrine du nouveau management public, avec la mise en scène d'une série de concepts rendus emblématiques. Le mythe central fut la performance dans les administrations, notion pourtant aussi vieille que l'activité humaine puisqu'elle signifie que celle-ci a obtenu les résultats attendus ou jugés bons, dans quelque domaine que ce soit : économie, sport, arts ou jeux. Elle s'apprécie tout naturellement dès lors que les objectifs sont connus. La budgétisation par programmes fut l'instrument destiné à expliciter ceux-ci en continu. En conséquence, s'est imposé le besoin de mesurer la performance effective, ce qui produisit une floraison de publications et formations sur les facettes de la performance (3 E) et sur l'évaluation des politiques publiques, vouée à devenir la reine des contrôles. Les inspections générales des ministères s'en emparèrent. En 2008 elle fut ajoutée aux missions du Parlement (art. 24 constitution). Et la Cour des Comptes avait même envisagé d'en faire son activité principale. Coiffant le tout, furent médiatisées les images d'un Etat stratège et de collectivités locales entreprises.
Où en est-on, 20 ans après ? L'Etat, qui a montré les limites de sa capacité de stratège dans presque tous les domaines, n'a plus de laboratoires où se conçoivent les grandes politiques et doit, à chaque nouveau problème, appeler des consultants, tandis que le démantèlement des grands corps supprime d'exceptionnels réservoirs de savoirs collectifs. Le fonctionnement du système politique permet-il encore d'accorder la place qu'il faudrait au temps long ? Quant au slogan du maire entrepreneur, il a pris un coup de vieux car il correspond mal aux réalités des politiques locales et à l'attente des citoyens.
La performance reste une étiquette attachée aux programmes dans les documents budgétaires de l'Etat, mais les rapports de performance, parfois discutables dans leur conception, devenus routiniers et de qualité très inégale, sont faiblement exploités par les dirigeants politiques, en sorte que le cercle vertueux - action, évaluation, réforme - tourne au ralenti.
Dans la production de biens ou de services, la performance dépend fondamentalement de la qualité et de la motivation des agents et seulement à la marge des procédures financières. Or, le « contrat LOLF » s'est rompu quand la Révision générale des politiques publiques (RGGP) fut entreprise à un moment où l'Etat avait décidé de diminuer ses effectifs, ce que l'on associa un peu perfidement à la RGPP qui bousculait trop les services et qui fut donc sacrifiée, les réductions de personnels continuant autrement.
Aujourd'hui, ce serait mal reçu de vouloir refaire de la performance le mot d'ordre pour galvaniser les services de police, d'enseignement, de santé, de justice ou de tout autre. Le citoyen, juge souverain en la matière, ne serait pas davantage convaincu de voir s'améliorer le service public.
Y a-t-il, malgré tout, un avenir, alors qu'on ne voit guère émerger de nouveaux mythes mobilisateurs? L'évaluation, restée très en arrière-plan par rapport aux ambitions initialement affichées, pourrait-elle en être un ? Peu pratiquée, absente des réformes décidées et refusée sur les mesures controversées (fusion des régions, compétences locales, financement des collectivités), elle pourrait redonner de la crédibilité au discours politique et apporter des soulagements aux finances à condition d'une mise en oeuvre transparente et de conclusions rapidement suivies des corrections appropriées. La Cour des comptes, qui annonce dans JF2025, le projet stratégique des juridictions financières, qu'elle entend devenir l'acteur majeur en la matière et en faire le deuxième métier des juridictions financières, CRC comprises, pourrait-elle entraîner le mouvement ? Et le débat politique s'en trouverait rationnalisé. Mythe ou utopie ?